"Ange plein de bonté, connaissez-vous la haine,
Les poings crispés dans l'ombre et les larmes de fiel,
Quand la Vengeance bat son infernal rappel,
Et de nos facultés se fait le capitaine?
Ange plein de bonté connaissez-vous la haine?"

Ce dernier souvenir me semblait si lointain et pourtant si proche… Peut-être était-ce parce que le temps était propice à la mélancolie ? Ou bien les nuages gris qui me surplombaient ne me rappelaient que trop bien le temps maussade et habituel qu’il faisait ce jour là… Et pourtant, si jusqu’à présent tout cela n’avait été que détails dans ma vie, je comprenais qu’il était des rencontres que l’on ne pouvait oublier ; soit parce qu’elles étaient trop belles, ou bien trop douloureuses… Ou tout simplement trop intrigantes. Il me semble qu’en ce moment même, ce mot était le plus judicieux pour qualifier ce petit morceau de ma vie.
Dix-huit ans. L’âge de la jeunesse, de la beauté et de la force… C’était ce nombre de printemps qui m’habitait lorsque je le vis pour la première fois d’aussi près. Aujourd’hui j’en ai deux de plus, ou peut-être même trois… Cela me semble si flou, je n’ai plus vraiment la notion du temps… Néanmoins j’étais dans la fleur de l’âge et c’était en nouvelle femme qui venait de quitter la tendre époque de l’adolescence que j’affrontais les dangers qui s’offraient à moi… Encore que, déjà juunin expert à ce moment là en passe de devenir ANBU, j’avais déjà vécu suffisamment de choses pour savoir les bases de la vie.

Comme je l’ai cité plus haut, c’était lors d’une magnifique fin d’après-midi… particulièrement orageuse. Par je ne sais quel miracle, il ne pleuvait pas et je pouvais déambuler dans les quartiers commerçants sans prendre le risque de me tremper. Vêtue d’un ensemble de vêtement de cuir noir et moulant afin de m’offrir une marge de manœuvre optimale, le tout était dissimulé sous d’amples tissus finement brodés qui laissaient voir la naissance de mon imposant tatouage traversant mon dos. Les cheveux librement lâchés sur mes épaules, ils tombaient en cascade dans mon dos telle une rivière de jais et si pour moi ce n’était qu’un trait de négligence, je ne pouvais m’empêcher d’esquisser quelques sourires discrets à ceux qui m’adressaient des regards appuyés. On pouvait être la modestie incarnée, il était impossible de sentir une pointe d’amusement lorsque le regard d’un homme se posait sur le corps d’une femme.
Après une matinée particulièrement agréable vu que je l’avais passé au lit, j’étais en pleine forme et mon début d’après-midi avait été teinté de calme et de plénitude. Solitaire, comme d’habitude, je n’entretenais pas non plus de mauvaises liaisons avec mes confrères shinobis mais il était assez rare que je me trouve en leur compagnie lors de mes rares moments de temps libres… Je n’avais jamais compris leur lubie de toujours trainer en groupe quand, enfin, l’administration nous permettait de souffler entre deux missions.

« La peur d’être seule, la crainte de l’inconnue…
Ou tout simplement l’ignorance de ce qu’est le plaisir d’être en paix avec soi, et soi-seul.
Des hypothèses bien osées pour des entités qui n’ont jamais connu la solitude…
…
Je ne parle pas pour toi, Vila. »

Le soleil baissant progressivement derrière les remparts du village, il était encore tôt pour diner mais l’idée de boire un verre ou même deux me titilla et je fis un petit écart de conduite en me dirigeant vers un bar plutôt discret ou je savais que j’avais peu de chances de rencontrer des gens que je côtoyais professionnellement.
Soulevant le tissu sensé éloigner le mauvais esprit de tous ceux dont la tête frôlerait l’étoffe, l’atmosphère plus confinée me mit à l’aise et mon regard argenté balaya la salle afin de repérer une place libre et à l’écart. Survolant les visages de citoyens sans les voir, le seul qui attira un tantinet mon attention fut ce shinobi que j’avais déjà vu de loin lorsque j’allais apporter mes rapports ou que je me rendais au QG. Son nom ? Je n’en savais rien mais il avait la réputation d’être aussi bon ninja que discret… et légèrement agressif avec ses ennemis.
Ce constat étant fait, je m’avançais tranquillement entre les tables et me plaçai contre le comptoir même, appuyé sur le mur de gauche. Commandant un pichet de saké, je payai le tenancier après quelques paroles de politesse et bus une gorgée tandis que la voix aigrelette de la fillette qui parlait au ninja s’élevait dans la salle. Ecoutant le début qui était dénué d’intérêt, je décrochai rapidement de cette activité peu enrichissante et préférai me perdre dans mes pensées, mes yeux regardant aveuglement à travers la fenêtre d’en face.

« Ca fait combien de temps que tu n’as pas pris un verre avec un de tes amis ?
Longtemps, mais ça ne devait pas vraiment être des amis car cela ne me manque pas…
Je me suis toujours demandée ce que tu faisais dans un village. C’est la liberté qui te convient le mieux. Que fabriques-tu ici… »

Excellente question… Murmurais-je avant de boire une gorgée.

Le barman, surprit par ma réflexion à haute voix haussa un sourcil dans ma direction et je secouai légèrement la tête pour lui montrer que je ne lui avais pas parlé. Dure vie que de devoir toujours faire attention à ne pas parler à voix haute… Si moi je savais que je n’étais pas seule, les personnes qui m’entouraient, elles, me verraient sans l’ombre d’un doute comme un objet de curiosité, et surtout comme une femme particulièrement dérangée. La schizophrénie était connue mais rarement acceptée… Et si mon cas n’en n’était pas un, pour ceux qui ne vivaient pas dans ma situation c’était impossible de leur expliquer qu’en fait j’étais trois femme en même temps comme je n’en étais qu’une et qu’elles étaient deux. Vous voyez ? Moi-même je me perds un peu dans tout ça…
Portant une main à mon bassin ou une ceinture de soie dissimulait celle en cuir qui portait le fin coutelât accroché à celle-ci, je retirai la lame de son fourreau de bois laqué et la fis tournoyer distraitement entre mes doigts.

…cuseras petite, mais j'ai trouvé une nouvelle compagnie pour terminer la soirée…

« Ouch ! Ca fait mal, je n’aimerais pas être à sa place !
Ni à celle de la fille qui a été relégué au rang de nouvel objet de convoitise.
Attends… Il ne vient pas vers nous, là ? »

La voix de mon confrère shinobi, si je pouvais le nommer comme cela, me ramena à la réalité et en faisant un lien avec les commentaires de mes deux sœurs, j’en vins rapidement à la même conclusion qu’elles.
Sentant une présence assurée et indubitablement masculine s’approcher dans mon dos, mon regard glissa sur le coté pour voir ledit inconnu qui n’en était pas vraiment un s’installer à coté de moi. Regardant brièvement s’il n’y avait pas quelqu’un d’autre dans les alentours, je compris que dans cet espace nous n’étions que deux et l’idée d’avoir été considérée comme l’une de ces très nombreuses femmes qui gloussent à tout va devant un homme quelque peu séduisant n’était pas pour me plaire, loin de là. J’avais beau avoir la conversation facile lorsque la situation l’exigeait, mais de là à mettre ma fierté de coté pour flatter l’égo d’un homme… Non, cela ne me ressemblait pas. Buvant une nouvelle gorgée et terminant mon premier verre en même temps que celle-ci, je me resservis tranquillement tandis que sa voix grave s’élevait à nouveau pour commander la même boisson que moi. Ne me regardant pas, je n’étais pas non plus stupide au point de croire qu’il ne me voyait pas. Après tout, indirectement il avait déjà lancé le début d’une relation et étant de bonne humeur… Je me permis de poursuivre ce semblant de courtoisie.

Rassurez-moi... dis-je alors, l’ombre d’un sourire sur mon expression sereine. Par nouvelle compagnie vous ne mettez pas de sous-entendus douteux, j’espère… Encore que, peut-être que je me trompe et que ces termes ne s’adressaient pas à moi. Heiwa Shiroame, enchantée. Terminais-je d’une voix toujours aussi calme.

Une approche simple et franche qui voulait tout dire. S’il était intelligent il comprendrait plusieurs choses dans mes quelques mots… La première étant que je venais d’une autre catégorie de femmes à laquelle il semblait avoir été habitué, la deuxième étant que malgré ce point là je ne refusais pas non plus sa compagnie… Et la dernière était tout simplement que j’acceptais de faire un premier pas en déclinant mon identité la première. Si tout se passait dans les règles de la politesse, il était sensé me dire son nom à son tour… Mais je n’étais jamais à l’abri d’un imprévu. Ne trouvez-vous pas que la vie est nettement plus excitante lorsque vous n’avez pas toutes les cartes en main ? Certes, il est parfois frustrant de ne pas avoir la réponse à une question que l’on se pose mais étant de nature à ne pas me troubler pour si peu, je savais doser le mystère et ce qui était su sans trop de problème. Néanmoins, la partie se jouait désormais à deux et si les hommes étaient pour la plupart assez prévisible, à l’image de ces femmes qui semblaient avoir été mise au monde sous un même modèle, j’espérais quand même un brin de nouveauté et rien que le physique particulier de ce personnage, qui n’enlevait rien à son charme pour autant, me donner un avant gout de l’originalité dont il pouvait faire preuve…

« Interessant !
Attendons d’entendre sa réponse… »

Allez, je t’en supplie silencieusement… Ne me déçois pas en sortant des remarques grivoises sensées exprimer ton incroyable virilité masculine. Aies un peu plus de discussion que cela, et si possible… Surprends moi.

"Je serai ton cercueil, aimable pestilence!
Le témoin de ta force et de ta virulence,
Cher poison préparé par les anges! Liqueur
Qui me ronge, ô la vie et la mort de mon cœur!
"

Il aurait pu m’ignorer pour me montrer que je n’étais ‘’qu’une femme’’ à ses yeux. Il aurait pu essayer de me frapper comme il aurait pu tout simplement me dire que cela ne me regardait pas… Bon nombre de shinobi agissait ainsi, persuadé que l’homme était le sexe fort et la femme n’était que bonne à… à entretenir, nous allons dire. Au lieu de cela, alors que je m’attendais à une réplique peu aimable au vu de la façon dont il avait traité la jeune citoyenne précédente, il adopta une voix calme et sans que nos regards se soient croisés, il m’annonça que j’avais tout simplement éveillé sa curiosité. Vraiment ? Et que devais-je comprendre ? Je n’étais pas étonnée qu’il m’ait remarqué à mon arrivée. Après tout, n’étais-je pas la perfection incarnée ? Non je rigole… Néanmoins, c’était assez logique qu’un guerrier en remarque un autre. Solitaire, il le semblait lui aussi un peu même si contrairement à lui, je n’étais pas du genre à jouer avec le cœur des hommes. Du moins, pas trop souvent… Il fallait se contenir, après tout.
Etait-ce mon physique qui l’avait attiré ? Je n’étais même pas sur qu’il ait encore vu mon visage. Si j’avais conscience que la nature avait été généreuse avec moi, chez les shinobis l’apparence n’était qu’une façade… On pouvait avoir affaire à la divinité incarnée, seule la protection de sa propre vie était importante. Certes, à l’instant même je doutais fort qu’il souhaita me tuer puisque après tout nous étions dans le même camp, mais il ne serait pas impossible qu’après ma désertion il fasse partie de mes ennemis. Ha oui, je ne vous l’ai pas dit ? Je compte quitter Kiri très prochainement… Les chaînes du village qui s’accrochent à votre peau comme des tentacules… Il n’y a rien de pire pour une femme avide de liberté comme celle que je suis.

Intriguant… Relevais-je de façon presque inaudible.

M’annonçant son nom, Grimmjow Jaggerjack ne m’était pas inconnu comme patronyme étant donné que j’avais accès aux listes des effectifs des shinobis mais je ne me souvenais plus dans quel grade il était classé. A sa façon de parler, son assurance et sa démarche souple, il semblait compétent et je doutais fort qu’il se situe en dessous de juunin. Et toi, étais-tu aussi intriguant que je ne te le paraissais ? Ou tout simplement un simple homme qui ne cherche qu’à assouvir ses fantasmes ? Bon nombre d’individu se leurre à mon sujet et j’allais en général leur trouver raison dans le sang. Tu me semblais quand même plus intelligent que cela et même si on sentait ta férocité au bord d’exploser, j’étais loin de me sentir mal à l’aise.

« Moi je dis, on le prend le temps d’une nuit histoire de vérifier la marchandise et on le jette après.
Sans façon ! Il est trop… trop… trop bizarre ! Partons!
Ouais enfin… On va essayer de rester correctes, hm ? »

L’esprit légèrement embrumé par les deux verres de saké, oui je ne tiens pas trop l’alcool, je ne me privai pas d’un troisième et entrepris de verser le breuvage dans mon verre vide. Tandis qu’il vidait le sien, je l’imitai au moment où il reposait le récipient et après l’avoir vidé d’un trait, le posai à mon tour avant de m’adosser contre le mur à ma gauche ce qui me permit de pouvoir regarder cet individu sans tourner la tête. Vu de près, il semblait moins impressionnant qu’il pouvait le paraitre mais on sentait quand même l’aura d’agressivité qu’il dégageait. Il ne devait pas avoir une vie sociale très développée… Mais je n’allais pas critiquer, la mienne non plus n’était pas fameuse. Encore que vu que c’était par choix, peut-être étais-je la moins à blâmer de nous deux…
Traçant des cercles nonchalants de mon indexe sur le bord de mon verre tandis que l’aubergiste jetait un regard soupçonneux vers nous, la voix de Grimmjow, puisque c’était son nom, venait de s’éteindre dans les bavardages feutrés qui nous entouraient un peu plus à l’écart. La fille qu’il venait d’abandonner me lançant un regard hostile auquel je répondis par un air impassible, elle s’écarta de la table et sa chaise s’écrasa au sol sans que le Kirien avait qui je parlais ne réagisse. Un mépris impressionnant de sa part, il était vrai que si je ne m’emportais jamais, je pouvais comprendre la frustration de cette fille ainsi que la haine qu’elle éprouvait pour moi bien que je n’ai rien fait, ni demandé. Il n’était déjà pas simple pour moi de me faire des amis, à croire que j’étais un peu misogyne ou même misandrine sur certains cotés…

…Et bien enchantée de te connaitre, ou plutôt de te rencontrer, Grimmjow. Lâchais-je d’un ton léger sans que rien sur mon visage ne montre toutes les pensées qui venaient de me traverser.

Un nouveau silence s’installa, silence qui n’était pas pesant contrairement à ce que l’on pouvait penser. Non, serein, tranquille bien que je pouvais presque sentir la chaleur que son envie de meurtre dégageait, je me contentais de fixer ce profil qui s’était aventuré près de moi. A ses risques et périls…
Me faisant resservir une deuxième bouteille de saké qui, bien que peu fort, avait commencé à faire effets, je me sentais plus reposée et ma méfiance chuta d’un coup bien qu’elle était encore omniprésente. Il me semblait que même en présence de mon frère ainé j’avais toujours eu de la réticence à me dévoiler… Comme quoi, en plus d’être incapable de créer des liens avec les autres, je me montrais paranoïaque. Mais en tant que Shinobi, n’était-ce pas normal que de se méfier de son voisin ? On avait tôt fait de vous planter un poignard dans le dos dès que vous baissez la garde… Cela m’était arrivé une fois, sans trop de grave conséquence heureusement, mais je n’étais pas prête à renouveler l’expérience, aussi intéressant que semblait le paraitre le nouveau protagoniste qui venait se mêler à ma vie le temps d’une soirée.
Reportant à nouveau mon attention sur le jeune homme où l’éclat bleuté de ses yeux luisait dans l’ombre de ses cheveux de la même couleur, il ne fallait pas y voir un quelconque intérêt lubrique de ma part. Déjà j’étais une femme, et en tant que femme nous étions de ceux qui se faisaient désirer et non de ceux qui désiraient ; oui j’avoue être un peu prétentieuse sur ce coté là mais n’est-ce pas la vérité ? Et de plus il s’agissait plus d’analyse que de contemplation. De tous les shinobis que j’avais eu l’occasion de côtoyer, ils étaient fermement attachés à leur image et à part quelques rares individus qui sortaient une fois que tous dormait, peu étaient ceux qui s’affichaient délibérément dans un bar avec un verre d’alcool à la main. Pour ma part, qui était le summum de cette folie par ma nature de femme et donc par ma nature qui est sensée être plus délicate que cela, je m’en moquais éperdument mais il était toujours plaisant de voir que nous n’étions pas les seuls marginaux dans un village comme celui-ci…

Briser le cœur de pauvres jeunes filles innocentes est la seule raison pour qu’un haut gradé de Kiri vienne s’enivrer dans ce bar ? Abordais-je la conversation toujours aussi calmement. Ou bien cela vient de la lassitude d’une vie trop monotone dans ce village ennuyeux… ?

« Ne dévoile pas trop ton mépris de Kiri ! C’est l’un de leurs subalternes !
Officiellement moi aussi, je n’ai rien à me reprocher…
Oui mais officieusement… Tu es déjà une traitresse, au fond. Refus d’obtempérer, non présence aux réunions… »

C’était vrai. On avait proposé mon nom pour intégrer les forces spéciales de Kiri et j’avais donné mon accord… L’examen allait se dérouler dans moins d’une semaine et j’accumulais déjà les fautes qui s’affichaient aussi tôt dans mon dossier, me déclenchant des remarques de la part de mes supérieurs. Ils n’avaient rien compris à la vie… Travailler pour le compte d’une femme que je ne voyais pas et que je ne connaissais pas, servir un village qui ne me le rendait pas inconnue que j’y étais, à quoi bon gâcher les plus belles années de ma vie en actions non-rendues qui ne feraient que m’aigrir un peu plus que je ne le devenais déjà…
Mais toi, Grimmjow Jaggerjack, fais-tu parti de ces individus ? Ou es-tu différent…

Excuse mes paroles. Repris-je alors avec un sourire ambigu. J’ai tendance à me lasser de la routine… Mais te raconter cela serait t’ennuyer.